Le maquis de Kerguiniou

 Le maquis de Kerguiniou en Ploubezre

 A cet époque Kerguiniou est un hameau dynamique, prospère et animé, une vingtaine d'ouvriers et d'employées viennent travailler dans le teillage de lin et la blanchisserie industrielle. (voir plus bas le plan du site) Cet ensemble est dirigé par Maurice Barré et son épouse. Dès l’été 1940, la blanchisserie est  réquisitionnée par les Allemands.

     Après le démantèlement, le 29 décembre 1940, du groupe de Résistants " Roger Barbé- Maurice Robert" auquel il appartenait, François Tassel vient travailler et se cacher à Kerguiniou. Il est employé et protégé par Mr Colombo, négociant en charbon de bois de Perros-Guirec, c'est un ancien de 14-18 qui refuse l’occupation allemande. François exerce le métier de bûcheron, comme il passe l’essentiel de son temps autour de Kerguiniou, Il fait plus ample connaissance avec Maurice Barré "le patron" et avec Yvonne Lozahic qui habite à 200 mètres du pont du côté de Tonquédec  (elle deviendra sa femme en 1941 ou 42). Les deux hommes s'apprécient, ils ont les mêmes opinions politiques, ils n'admettent pas du tout l'occupation et la soumission à Hitler. Aussi dès 1941, ils décident de s'impliquer dans la lutte contre l’occupant. 

En parlant discrètement à leurs amis et au café de Georges Fabre au bourg de Ploubezre, ils recrutent une douzaine de volontaires bien décider à espionner et à agir pour nuire aux occupants. Les sorties de nuit sont nombreuses pour couper les fils de leur téléphone, pour déboulonner des rails, pour casser des poteaux électriques. Ils agissent un peu partout dans le Trégor avec une grande discrétion pour ne pas se faire repérer et surtout parce qu'ils ne possèdent que très peu d'armes. Comme leur refuge est une maison abandonnée près du teillage de lin, Maurice Barré leur conseille une extrême prudence, parce qu'il y a souvent des Allemands qui viennent à la blanchisserie: "Venez plutôt à Kerguiniou en évitant la route, prenez les sentiers du bord de la rivière". Bernard Lozahic nous dit que sa mère Francine (mère d'Yvonne) accrochait un chiffon blanc au bord du chemin de Kerfons, quand il n'y avait pas de danger.

Le camion de la blanchisserie et la grande roue du teillagePhoto collection Patrick le Huérou

   Le maquis de Kerguiniou recrute (surtout des hommes qui ne se sont pas présentés pour le STO), il prend vite de l'importance et devient la plaque tournante de la Résistance dans le Trégor: il renseigne, il surveille, il sabote, il fournit des faux papiers aux personnes recherchées grâce à la complicité de Mme Le Bigot employée à la mairie de Ploubezre, il distribue des tracts... Ils sont écris et polycopiés par Mme Annick Barré alias Yvane,  pour encourager les patriotes, exhorter les gens à désobéir aux ordres de l'occupant et des vichystes et dissuader d'autres de collaborer. Avec l'aide de ses employées de la blanchisserie, Yvane obtient des informations en discutant avec les Allemands qui viennent déposer ou reprendre leur linge. Le voisinage découvre les activités clandestines de Kerguiniou et les accepte sans rien dire ou bien leur propose une aide pour loger ou nourrir à l'occasion des Résistants ( fermes  d'Alexis Henry du Yoncour, de Pierre Deslisle du Rhune, de Yves Marie Lozahic de Kerguiniou, moulin d'Eugène Querrec à Milin Paper, un peu en aval de la rivière et de bien d'autres)

François Tassel (pseudo Gilbert) et ses adjoints ( Marcel Diguerhrer, Yves Trédan, Amédé Prigent, Jacque Margaté, Louis Querrec, Jacques Cabillic... ) dirigent un nombre important de Résistants dispersés dans toute la région de Lannion - Plouaret- Perros Guirec. Il entre en contact avec les dirigeants départementaux (Jean Devienne et Louis Pichouron) et avec les parachutistes SAS chargés d'organiser la Résistance, pour essayer d'obtenir des armes. En 1943, il est nommé, par le BCRA, responsable de la Résistance pour le Secteur Nord 1 des Côtes-du-Nord (commissaire aux effectifs et aux opérations). Maurice Barré  alias Yves est nommé responsable du Front National pour le secteur de Lannion. En mars 1944, ils vont, avec Louis Landois et son camion, à Loc Envel pour récupérer un important  stock d'armes, de munitions et d'explosifs qu'ils cachent aux alentours de Kerguiniou.  

  Les cadres de la Résistance et des personnes en danger recherchées par la gestapo ou fuyant la collaboration viennent se réfugier à Kerguiniou chez Mr et Mme Barré. Jean Devienne et Marie-Pierrette Le Bihan, alias Christiane, y font toujours une étape en allant imprimer leur journal clandestin « le Patriote des Côtes du Nord » à Morlaix chez Louis Boclé. Le 23 mai 1944, yves Derriennic, activement recherché à Belle-Isle-en-Terre et à Loc-Envel, est à Kerguiniou quand, en fin de journée, deux camions allemands descendent la côte du côté de Ploubezre. 

Les activités clandestines à Kerguiniou sont repérées à la mi mai 1944.

"Le 19 mai, j'envoyais deux maquisards en mission auprès d'Yves Trédan, aux Sept Saints (Le Vieux Marché). Ils sont capturés par les Allemands sur le chemin du retour. Soumis à la torture, au centre de la gestapo à Guingamp, ils finissent par donner mon nom et mon lieu de résidence au bourg de Ploubezre.

Le 23 mai 1944 en début d'après-midi, le bourg de Ploubezre est cerné, les habitants sont sortis des maisons et gardés à vue. Quelques Résistants et réfractaires réussissent à s'enfuir, mais quatre d'entre eux sont capturés. Furieux de ne pas me trouver à mon domicile, les Allemands y mettent le feu, puis se font conduire à Kerguiniou par l'instituteur et un Résistant fait prisonnier."

  Le 23 mai 1944 aux environ de 18 heures 45 une quinzaine d’Allemands investissent Kerguiniou.

 Selon un témoignage, peu de temps avant l’intervention allemande, sortant d’une réunion, deux Résistants (Armand Tilly et Eugène Le Lagadec) quittent Kerguiniou pour rejoindre, à pied, le lieu-dit Le Joncour situé à deux kilomètres de là, juste de l'autre côté de la route Lannion-Plouaret, sur la commune de Ploubezre. Les deux hommes se trouvent à environ quatre cents mètres de Kerguiniou, à l’entame du chemin qui conduit à Convenant Dû, quand ils voient passer deux Allemands qui descendent à vélo vers Kerguiniou. Ils sont préoccupés, les Allemands descendent en général avec un fourgon de linge, mais ils décident de poursuivre leur route. Quand ils arrivent près des Cinq Croix, là ou se trouve actuellement le château d'eau, ils voient passer deux camions transportant des feldgendarmes de Plouaret bien armés, ils roulent en direction de Kerguiniou. Comment faire pour donner l'alerte? Ils sont trop loin pour courir jusqu'à kerguiniou et arriver avant les Allemands, ils ne sont pas armés (même un coup de feu ne peut pas être entendu depuis Kerguiniou). Comme ils ne peuvent rien faire, ils continuent leur chemin.

  Les deux camions s’arrêtent un peu avant d’arriver en bas de la côte. Il ne reste plus à la troupe allemande que quelques dizaines de mètres à parcourir à pied en silence, pour attaquer le maquis par surprise. Un groupe entre dans la propriété de Mr et Mme Barré par l'entrée située dans le virage en bas de la côte (du côté de Ploubezre) et surprend Mmes Barré et Derriennic, Yves Derriennic et son fils Yvon âgé de 11 ans.  

  Amédée Prigent, Yves Cudennec et Marcel Badet qui assurent la garde des caches d’armes sont dans le bois en aval, ils n'ont pas entendu les camions descendre la côte.

Yves Derriennic  est le premier à les voir, il tente de s’enfuir (Pierre Delisle fils affirme qu'il aurait tiré un coup de feu). Touché aux chevilles, il s’écroule et tombe vivant aux mains des nazis. 

  Alerté par les coups de feu, les plusieurs Résistants sortent du bois, armés seulement d'un Colt chacun, pour se rendre compte de l'origine de la fusillade. Voyant les Allemands se déployer, Amédée (chef du groupe) réalise la situation et ordonne de se mettre à l'abri derrière le talus qui sépare le champ du verger. Ils ne peuvent pas intervenir face à cet important groupe de soldats avec seulement trois pistolets: Il y a des mitraillettes dans la cache de l'autre côté de la rivière, il faut les récupérer pour pouvoir riposter efficacement. Amédée demande alors à ses deux camarades de le couvrir pendant sa traversée par un passage peu profond. Il réussit à atteindre la rive d'en face. Les boches arrêtés par le feu de couverture des deux braves protégés par le talus, contournent cet obstacle dans le but de les prendre à revers. Ils traversent le pont, s'engagent dans le chemin de Milin Paper, aperçoivent alors Amédée et ouvrent le feu. Il tente de riposter avec seulement son révolver, mais il n'a pas le temps de se mettre à l'abri avant d'être très grièvement blessé. Amédée ne peut plus s'en sortir, il sait qu'il va mourir, il préfère se tirer une balle dans la tête pour ne pas être pris vivant. 

Yves Cudennec à son tour, tente la traversée, il atteint un petite île (la deuxième en aval de la propriété de Maurice Barré).  Malheureusement, il s'écroule sur l'île en  recevant une rafale de mitraillette tirée depuis le verger. Mortellement blessé, il a que le temps de crier à son ami Marcel "Ne traverses pas, je suis touché, mets toi à l'abri". 

Marcel reste, jusqu'à la tombée de la nuit, caché dans la rivière sous une souche de saule, ne laissant dépasser que sa tête pour respirer. Le soir, il trouve refuge chez Pierre Delisle à un kilomètre de là. 

  Les victimes de l'attaque

En haut: Yves Cudennec (22ans) ouvrier agricole à Ploubezre.

 à gauche Yves Derriennic (36 ans), retaité de la marine natinale, marié, un enfant, habite à Loc Envel.

 à droite Amédée Prigent (23 ans)  Agent d'assurance, commissaire aux opérations dans la Résistance, marié, un enfant habite à Kerguiniou 

 

Les gardiens des caches: Albert Le Péru (23 ans) et Marcel Le Roux  qui ne sont pas de garde ce 23 mai, sont arrêtés  chez eux à Ploubezre, ils seront exécutés.  Louis Ropers (23 ans) est injustement arrêté et massacré.

Roger Botcazou est arrêté le 22 mai 1944 et torturé à Plouaret.

L Ropers, M Le Roux, A Le Péru, R Botcazou cliquez

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Pendant l'attaque de Kerguiniou François Tassel convoyait des armes destinées au Maquis de Noyal

  Ce 23 mai 1944, Maurice Barré, le Cdt Gilbert assurent un transport d’armes jusqu’à Noyal près de Lamballe destiné au maquis Hector. Font aussi partie de cette mission Louis Landois, à qui appartient le camion, Jean Page dit P’tit Page, Marcel Diguerher, Yves Trédan Cdt de la Cie « la Marseillaise », Edouard Chapiseau et Louis Querrec.

  En soirée, nous rentrons vers kerguiniou en passant par Tonquédec, heureux d'avoir bien accompli notre mission périlleuse. Nous ignorons tout du drame qui vient de se dérouler. Nous sommes à trois cents mètres environ de Kerguiniou quand Yves Marie Lozahic, mon beau père qui a échappé à l'encerclement, monte rapidement la côte pour nous arrêter "Ne descendez pas, il y a des boches à Kerguiniou et beaucoup de morts. Ca tire de partout." Je donne immédiatement l'ordre de descendre du véhicule, de le tourner dans la direction de Tonquédec et de m'attendre sur la place de Kerjean (à 800m plus loin). Je demande à Yves Trédan me m'accompagner jusqu'en bas pour nous rendre compte de la situation. Nous avançons prudemment quand nous apercevons un soldat allemand, l'arme à la main, qui longe la route vers nous. Très rapidement nous rejoignons nos camarades pour leur ordonner de camoufler le camion et de se disperser. Jean Page, Louis Landois, Edouard Chapiseau et Louis Querrec vont se réfugier chez Louis Famel, Victor Bozec et Jean Houssier, tous les trois membres du front national de Tonquédec. Yves Trédan rentre chez lui à pied, Marcel Diguerher, Maurice Barré et moi allons chez François Beuvant à Caouënnec. Inquiet du sort des famille Barré et Derriennic, je demande à Maurice de prendre contact avec le docteur  Marcel Rouzault de Cavan (responsable du FN pour Cavan)

  Le docteur qui a été appelé, est descendu à Kerguiniou pour soigner Yves Derriennic. Il a exigé que le blessé soit transporté à l'hôpital. Pour ne pas mettre en danger la vie de Mme Barré et de ses fils Michel et Claude, de Mme Derriennic et de son fils Yvon, de l'employée Ernestine Lozahic et d'Yves Derriennic gardés et interrogés dans la maison de la famille Barré, Il me conseille de ne pas intervenir." Témoigne François Tassel

 Après un long interrogatoire de tout ce monde, le 24 mai Yves Derriennic est conduit à l'hôpital de Lannion pour extraire la balle et lui faire un pansement.

  Les otages sont gardés, jusqu’à ce qu’un motard vienne à Kerguiniou prévenir l'officier que le transfert à l'hôpital s’est bien passé. Yves Derriennic est amené à la pépinière à Plouaret pour être interrogé sous la torture et incarcéré.

   Dans la nuit du 24 mai ou du 25, le docteur Rouzaut, au volant sa propre voiture, vient chercher toute la famille Barré et son employée Ernestine Lozahic. La voiture est surchargée, puisque la voiture de Charles Kerleau n'arrive pas.  Ils vont à Pléneuf-Val André, chez un ami d'enfance de Mme Barré. Maurice Barré continuera la lutte avec le maquis de cette région dirigé par le commandant Hector.

  Maurice Barré ne se présente pas à la Komandantur de Lannion où il est convoqué. Un soir, vers le 25 ou 26 mai, l’usine de teillage de lin, la blanchisserie industrielle et la demeure de la famille Barré sont incendiées par les allemands.

    Après les incendies de Kerguiniou et de sa maison au bourg de Ploubezre, le Commandant Gilbert poursuivra lui aussi son combat contre l’occupant et ses collaborateurs. Sa femme et ses 2 fils trouveront refuge à Cavan chez les Bonniec, où elle se fera arrêter par les Allemands.

  Le Résistant de Loc-Envel, allongé sur une civière, sera fusillé de trois balles dans la poitrine le 10 juillet 1944 au bois du Malaunay, avec seize autres Résistants détenus à Saint-Brieuc.


Texte composé par JP Daniel à partir des mémoires de François Tassel "Pour la France", d'écrits de Jean Claude Le Guéziec et des témoignages d'Ernestine Le Huérou, d'Yvon Derriennic et d'Armand Tilly

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Les caches d'armes témoignage de François Tassel

   Les armes, les munitions et les explosifs provenant de Loc Envel, n’ont pas été découverts par les Allemands. Leur récupération est effectuée par moi-même assisté de Jean Houssier, Jean Jacob et de Marcel Diguerher. Nous les avons recachés près des refuges prévus pour les Résistants:

   Témoignages:

 Yvon Derriennic (présent le jour de l'attaque), Mme Rouzaut (femme du docteur Rouzaut à Cavan), Yves Trédan, Pierre Chapiseau, Mme Huérou (Ernestine Lozahic qui vivait chez Mr et Mme Barré), Mme Yvette Scarabin (née Lozahic de kerguiniou), François Tassel, Pierre Delisle,  Jean Merdy, Yves Lozahic, ...

recueillis par Jean Claude Le Guéziec et Jean Pierre Daniel

  Lisez leurs Témoignages 

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