Pierre Chapiseau

 Pierre Chapiseau est membre de notre association depuis sa création en 1993. C'est lui qui portait notre drapeau le jour de son inauguration en 1999.Il a été nommé président de notre amicale après le décès de François Tassel en 2017Pierre titulaire de la médaille de la Résistance, a été nommé chevalier de la légion d’honneur en 2015 

En 1944, il était un des plus jeunes Résistants.

Pierre Chapiseau témoigne de son valeureux parcours


Mon père Edouard, ancien de 14-18 n'acceptait pas l'occupation allemande. Dès 1940, je me suis imprégné de son état d'esprit, celui de résister à l'ennemi.

 Au premier semestre 1942, j'étais en pension au collège de Plouaret où j'ai obtenu mon Brevet. Le Directeur de l'établissement, Monsieur Berthelot, également ancien de 14, ne supportait pas la présence des Allemands qu'il croisait sans cesse dans la cour, puisqu’ils stockaient du matériel dans les locaux du collège, entre autres des vélos réquisitionnés. Mes premières actions ont été anodines. Elles consistaient avec une équipe de camarades, à crever les pneus de ces bicyclettes. Ces actions se sont limitées à quelques crevaisons pour ne pas mettre la vie de notre Directeur en danger.

 Pendant les vacances scolaires je passais mon temps avec quelques copains, à peindre des V et des Croix de Lorraine sur les murs de la ville de Lannion. Tout cela paraissait enfantin, enfantin mais dangereux car se faire prendre sur le fait par l'occupant pouvait être fatal.

 Au second semestre 1942, je me retrouvais dans un collège au 72, rue de Bayeux à Caen  qui préparait les élèves aux métiers de la Marine. Au début de 1943, j'obtenais la première partie de mon brevet élémentaire et j'espérais par la suite obtenir dans ce collège un diplôme d'officier de la Marine marchande. Mais la guerre s’intensifiait, nous étions souvent réquisitionnés par l'ennemi pour marcher sur les voies de chemin de fer et ouvrir ainsi la route aux convois allemands, car en Normandie, comme ailleurs, les FFI piégeaient les rails.

 En automne 1943, tous les élèves du collège ont été réquisitionnés après un bombardement à Rouen pour dégager les tombes du cimetière de Sotteville et pour transporter les morts et les blessés qui gisaient dans les rues. Je vous fais grâce de ce que nous avons vécu pendant ces heures et ces heures de corvées imposées. Un spectacle et des conséquences que l'on garde en soi toute la vie.

 Les bombardements alliés prenaient de plus en plus d'importance et à part les réquisitions, auxquelles il était impossible de se soustraire, nous passions le plus clair de notre temps, non pas en cours, mais dans les abris. Finalement, le Directeur de l'établissement nous a demandé de rentrer à la maison. Cette décision a sonné le glas de mes études et le retour chez moi à Lannion.

 Je n’avais plus les mêmes occupations. Maintenant, ce qui comptait pour moi c'était la libération de ma région et celle de la France. En fin d'année 1943, j'entrais donc en Résistance auprès de mon père. A dix-huit ans, j’étais le plus jeune Patriote de Lannion, mon pseudo était Pierrot. 

 Du début 1944 à fin mai 1944 en tant qu’agent de liaison, je participais à la distribution des tracts et du journal clandestin le « Patriote des Côtes-du-Nord ». L'attaque du maquis de Kerguiniou, le 23 mai 1944, a entraîné divers déplacements et regroupements des Patriotes. Ce soir là, mon père Edouard m'a fait prendre tout mon nécessaire et nous sommes partis à pieds à Caouënnec chez les frères et sœurs Bonniec de la ferme de Roudvine, là nous avons retrouvé quelques Résistants Marcel Diguerher dit Jojo, P'tit Page dit P'tit Suisse, il y avait aussi la famille de François Tassel « Commandant Gilbert »: Yvonne Tassel et ses deux enfants Gilbert ( 2 ans) et Maurice (1 an) chassée de Kerguiniou après l'attaque du maquis. D'autres Résistants nous ont rejoint plus tard, Les trois frères Bonniec étaient eux aussi Résistants, l'un était réfractaire au travail en Allemagne.

 Avertis de la présence de Résistants à Roudvine, les Allemands (l'encadrement était allemand, la troupe était composée de russes “blancs”) ont fait irruption dans la ferme. Surpris et en sous nombre par rapport à l'ennemi, nous sommes parvenus à prendre la fuite, in-extremis, avant que les lieux soient encerclés. Les Allemands ont mis le feu à la ferme de Roudvine qui a été entièrement détruite. Les trois sœurs Bonniec et Yvonne Tassel (qui se faisait passer pour la quatrième sœur Bonniec) ont été embarquées par les allemands et emmenées à la komandantur de Lannion. Elles y ont passé la nuit avant d'être conduites le lendemain à Saint-Brieuc, où elles ont été torturées. Courageuses et tenaces, elles n’ont pas parlé. L'ennemi cherchait surtout le Commandant Gilbert pour repérer et détruire les Maquis  et pour mettre la main sur les caches d'armes. C'était la première fois ce jour-là, à Roudvine que je rencontrai François Tassel.

 Après l'incident de Roudevine, nous avons rejoint le maquis de Mantallot, puis quelques jours plus tard le maquis de Pommerit-Jaudy constitué d'une compagnie complète (150 hommes) commandée par le Capitaine Maurice: La compagnie Roger Barbé de Lannion. Le maquis a été attaqué le 9 juillet 1944 vers 16 heures 30 par 600 Allemands. Près de moi, Frantz Pétrei, de nationalité autrichienne, déserteur de l'armée allemande qui avait rejoint les Résistants de Lannion, comprenait l'allemand, il nous traduisait les ordres de l'ennemi. Grâce à Frantz nous avons réussi à sauver notre peau. Le combat a duré environ 3 heures. Chez l'ennemi quelques dizaines d'hommes ont été tués ou blessés. Chez les patriotes, 11 hommes ont été tués et plusieurs ont été blessés. Au cours du repli avec Frantz Pétrei nous avons rencontré Lintanf qui venait de recevoir une rafale de pistolet-mitrailleur dans l'abdomen. Grièvement blessé et intransportable, le Patriote nous a supplié de l'achever, nous n’en avons eu pas le courage, il a agonisé très peu de temps. Nous avons rencontré des agriculteurs qui avaient indiqué, à tout un groupe en retraite, la route de Cavan. Yves Marie Gallou, rencontré par hasard à Cavan, nous a dit: “le rendez-vous est à Lanvézéac". Jean et Ernest Hénaff et Maurice Bérézaie et moi, nous nous y sommes rendus, mon père et plusieurs autres Résistants étaient là.

 Le Capitaine Maurice m’a cité à l'ordre du Régiment pour m'être distingué au cours de la bataille de Pommerit-Jaudy, j’étais seulement armé d’un pistolet Colt.

 Après avoir déménagé plusieurs fois avec armes et bagages et de nuit, après avoir fait pas mal de kilomètres avec mon père Edouard, nous sommes arrivés à Pluzunet le 28 juillet 1944 dans une carrière à proximité de la ferme de Pen Clec'h des sœurs Gad. Nous devons participer à une opération de parachutage qui doit avoir lieu la nuit suivante. Planquée dans la carrière, l'équipe de Résistants (9 hommes dirigés par François Tassel), attendait patiemment l'heure du parachutage quand elle a été avertie par les agricultrices de l'arrivée des Allemands. C'est un jeune homme, Paul L'Hévéder, qui en voyant passer des camions allemands transportant des troupes, a pris conscience qu'il se passait quelque chose de grave dans le secteur. Les sœurs Gad ont été averties à temps pour donner l'alarme  Nous avons réussi à quitter la carrière sans être touchés par les grenades qui explosaient dans la carrière et autour de nous. Le Commandant Gilbert a alors décidé de filer sur Prat à 7 kilomètres plus loin, pour échapper aux allemands et préparer le parachutage sur cette commune. A Prat, au cours de l'après-midi nous avons contacté les Patriotes de la commune. Le soir, une vingtaine d'agriculteurs nous ont rejoint avec leurs chevaux attelés sur leurs tombereaux au lieu-dit Kerglas, où le parachutage devait maintenant avoir lieu sur un grand champ. Tout s’est passé comme souhaité. Nous avons décroché les parachutes tombés dans les arbres et ramassé les containers d'armes, de munitions et d'explosifs que nous avons chargés sur les tombereaux à destination des caches. J’ai été appelé à conduire l'un des attelages. Le largage a eu lieu à 23 heures le 28 juillet et l'opération s'est achevée le lendemain matin 29 juillet 1944, à la levée du jour. L’opération a été particulièrement pénible et délicate puisqu’elle a été effectuée avec un minimum de protection dans la mesure où les renforts provenant de Plestin-les-Grèves et de Lannion en route pour Pluzunet, déstabilisés par l'incident de Pen Clec'h, se trouvaient perdus dans la nature.

Après plusieurs jours, nous nous sommes retrouvés au château de Lanascol à Kéraudy chez Yolande et Solange Bougeant, puis au château de Coatilliau avant de retrouver la compagnie Roger Barbé à Lannion.

Avec la compagnie de Lannion, j’ai participé à la libération de la ville du 5 au 11 août 1944, puis à celle de Tréguier le 16 août 1944, où j’ai fêté mes 19 ans.

Après la libération du Secteur Nord 1 et du département des Côtes-du-Nord fin août 1944,  j’ai rejoint avec le 16è Bataillon des FTP du Secteur Nord 1 (Bataillon Gilbert) le Sud de la Bretagne pour participer aux opérations de libération des poches de Lorient et de Saint-Nazaire du 26 septembre 1944 au 7 mai 1945. Le bataillon avait rejoint Lorient dans des wagons à bestiaux et de marchandises en traversant la région par Callac (22) - Départ Paimpol, débarquement à Auray (56)-  Puis nous avons marché pendant 30 kilomètres jusqu’à Lorient.

A Lorient, un obus est tombé sur notre cabane en bois qui servait d'abri à quatre combattants. Mon voisin immédiat a été tué sur le coup, un autre qui a été touché par un éclat à l'abdomen, est mort d'une hémorragie peu de temps après l'explosion. 

Après la libération des poches, j’ai participé avec mon unité à la prise en charge des prisonniers allemands dans la région de Carnac-Quiberon.

A la fin de la guerre, je me suis engagé dans la Marine Nationale. Le 20 juillet 1945, j’ai rejoint le Centre de formation de Pont-Réan (35) , puis Porquerolles dans le Var afin de suivre pendant 5 mois un cours d'opérateur Radio. A l'issue de ce stage, j'ai embarqué sur l'escorteur Goumier, puis sur un navire pris aux Allemands: le dragueur de mines M9. Avec d’autres Français, j'ai assuré la garde de cet équipage composé de 74 marins ennemis auxquels la France avait promis la libération à condition d'assurer le dragage des mines de Lorient à Brest. Une situation compliquée et peu rassurante dans la mesure où il existait encore des vichystes parmi l'encadrement français.

 J’ai terminé mon engagement sur l’escorteur Goumier avant d'être démobilisé le 15 juin 1947.

Témoignage recueilli par Jean Claude le Guéziec  en janvier 2015

Obsèques de pierre Chapiseau 24 février 2023